dimanche 14 mai 2017

BON SANG DE BOURDIEU

 
  


10-04-40




Il subordonne ses démonstrations métaphysiques 
au rythme organique de soi-même méditant. 
Il raisonne, oui; mais il soutient son raisonnement 
de la peinture de l'homme qui cherche et qui raisonne.
Samuel S. de Sacy, Descartes par lui-même, 
Seuil, 1956, p. 96 




Quelle est la raison profonde de ma recherche photographique ? Vaste question, je ne sais pas si je peux y répondre d'une manière rapide et définitive.
Je vais tenter de formuler ma pensée:
J'ai précédemment expliqué que je voulais, au début, photographier comme dans les magazines. Assez irréaliste rétrospectivement, mais cela m'a permis d'amorcer un processus qui continue aujourd'hui.
Mais d'où vient cette envie, plus  précisément ? Cela  va paraître banal, mais bon, pourquoi pas ? Mon premier contact avec l'image vient de ma toute petite enfance. Un projecteur de diapositives très rudimentaire  fabriqué par Banania, la marque de chocolat. Cela permettait de projeter, à l'aide d'une lampe de poche, des images à travers une loupe sur un drap blanc, et ma mère nous racontait des histoires, des histoires que l'on raconte à travers des images.
J'ai passé mon enfance à comprendre comment l'image sortait de cette boîte, jusqu'au jour où j'en ai fabriqué un moi-même avec une boîte en carton, une loupe et une lampe de poche. Il fallait trouver la bonne distance pour que l'image ne soit pas floue.
J'ai aussi passé une partie de mon enfance à fabriquer des cerfs-volant, allez donc savoir pourquoi?
Une fois rentrée dans la vie active, un de mes projets était de faire de la photo, de mettre des images dans le cadre.
Aujourd'hui la photographie a pris le pas sur mes activités de temps de loisir.
Une autre de mes passions, la première, celle que je considère finalement comme la plus essentielle, est celle des mathématiques : je la considère aussi comme l'axe principal.
J'ai depuis toujours été sensible aux mathématiques. Sans elles, je ne serais pas ce que je suis. Là, on rentre dans un monde complet, quasi parfait et rassurant, et qui touche à tous les domaines de notre quotidien. Mais alors, pourquoi la photo, une manière de me confronter au monde physique des imperfections ? Mais finalement, ce n'est pas ce que j'y ai  trouvé, bien au contraire. 
Pour le moment, ce que la photo me fait faire, c'est de passer du théorique au concret. Dans l'absolu, tout est parfait. Dans la pratique, c'est vraiment une autre histoire, une tout autre histoire...
Les mathématiques m'ont toujours paru naturelles dès leur rencontre, c’est un langage à part entière. Les problèmes m'ont accompagnée tout au long de mes études, mon approche a toujours été globale pour resituer la problématique dans son contexte et ensuite la voir sous son aspect local, dans les détails, pour articuler tous les rouages de la démonstration, manière de ne rien laisser échapper. Maintenant, l'art et la manière d'agencer les différents éléments pour arriver à ses fins peuvent s’employer dans certain cas avec une grande élégance et un raffinement certain. Les formules et les théorèmes sont des chefs-d'œuvre dont on ne parle pas suffisamment. 
Bref, je considère que la mathématique représente l'art absolu. A partir de là, tout le reste n'est que quantité négligeable.
En conséquence, tout ce que l'on peut produire du point de vue artistique n'atteindra jamais ce summum.
Mais malgré tout, certains se débrouillent bien mieux que d'autre et le génie artistique existe. Certains approchent cette grâce dans n'importe quel domaine et cela laisse rêveur et béat d'admiration.
Je n'ai pas de complexe à faire de la photo, car de toute façon, je ne serai jamais dans la perfection et je suis loin de la grâce. Mais je peux malgré tout continuer à avancer et à apprécier les belles choses que je suis susceptible de rencontrer.
Il n'y a pas de concurrence, il n'y a que des styles différents qui s'expriment. Certains ont des styles photographiques bien plus riches et bien plus intéressants que d'autres, mais malgré tout la part de travail pour pouvoir exprimer cet art est très importante, un art dont les mathématiques sont partie intégrante.





En évoquant ses débuts en photographie, Albertine a en quelque sorte évoqué ses premiers jouets photographiques. Parmi les derniers, je retiendrai son approche toute récente du papier coton. Ce sont ces débuts dans ce domaine qui me fourniront pour cette page l’essentiel des illustrations. 
Considérons d’emblée ce produit d’un séjour également récent à Chambord. Le sujet : les nouveaux jardins appréhendés du haut de la terrasse supérieure. 

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On y retrouve naturellement les obsessions mathématiques, que ce soit dans le traitement des carrés plantés dont il est loisible de remarquer qu’à l’extérieur l’architecte paysagiste moderne lui-même a probablement été inspiré par l’architecte historique (Léonard de Vinci ?) du monument de pierre, qui a tout composé à partir de modules carrés géométriquement disposés. Les personnages imposent immédiatement un passage du 1 au 3, et comme par hasard la disposition des arbres visibles sur trois plans, du premier au troisième, figure une progression arithmétique de raison 3 : 3, puis 6, puis 9. Ne cherchez pas sur la quatrième ligne qui est vraiment très peu discernable : il n’y en a que 11 ! 


Si on conçoit sans peine que le cliché trouverait sa cohérence sans les personnages qui s’y trouvent, il paraît certain qu’ils apportent une valeur supplémentaire à l’ensemble. Pas seulement dans la mesure où ils « humanisent » le tableau. D’abord ils fournissent utilement une échelle à l’ensemble, ainsi que la base de la teinte noire qui, sans cela, serait monopolisée sans équilibre en haut de l’image. Ils paraissent métaphoriquement faire naître à partir d’eux, comme un encrier virtuel, la manière d’encre de Chine qui semble avoir servi à dessiner le décor environnant, notamment les arbres, géométriques représentants d’une nature résolument domestiquée et totalement cartésienne. 



Constatez, en vous rapprochant de l’image, le granuleux visuel de ce fameux papier coton (pour le tactile, c’est évidemment le privilège de celui qui tient le cliché dans ses mains). L’effet de neige est partout présent, les lignes les plus nettes dans la nature sont partout mangées par l’intrusion irrégulière des taches des masses voisines, on n’en peut suivre aucune dans sa linéarité nette, malgré l’aspect général indéniablement graphique du cliché. On est bien là dans le pictural au sens wölflinien du terme (Heinrich Wölflin, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art, Gallimard, Idées/Arts, 1966, Plon 1952). 


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Quant à l'atmosphère,  je ne fais jamais mystère que parmi mes critères intimes d'apprécier une photo il se trouve en bonne place sa capacité à me la rendre crédible en tant que photogramme potentiel, et cela d'autant plus qu'elle m'évoque un film qui m'est cher.
Et c'est bien le cas en l'occurrence, puisqu'en la voyant j'ai immédiatement pensé à L'année dernière à Marienbad (Alain Resnais, 1961). Alors je ne cherche pas à être universellement convaincant - il suffit que je le sois pour moi! - mais je ne résiste pas au plaisir de vous remettre en mémoire quelques éléments plausibles, avec le parc du château de Nymphenburg à Munich où ces plans ont été tournés. Il est vrai que depuis le motif initial de Girard, élève de Le Nôtre et copieur de Versailles, le goût ultérieur pour le style anglais a bien modifié le schéma initial, mais le résultat baroque garde encore suffisamment la structure à la française initiale pour que la géométrie n'en souffre pas trop. 


(Photogramme du film d'Alain Resnais)



En un autre endroit (un paysage du nord du département de l’Indre en Berry), deux clichés tirés sur des papiers différents à partir du même négatif nous seront l’occasion d’une indication supplémentaire dans le même type d’expérience. Il n’est que de comparer les deux rendus différents d’un tirage sur papier classique puis sur papier coton pour s’en rendre compte aussitôt, malgré la différence d'intensité des tirages et l'imperfection d'une reproduction comme la nôtre sur écran.  
La prise d'un détail permet de mieux s'en rendre compte, en s'attachant à la manière dont le halo grisé du feuillage se mêle plus ou moins au ciel de l'arrière plan. 







10-10

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Commentaire sur le papier coton de chez Ilford, le "Art 300".
C'est un papier qui est épais, de type baryté.
J'ai du mal à travailler avec, mais après les encouragements d'un collègue du club photo où je suis, et les essais que lui-même a réalisés qui sont superbes, j'ai réessayé, et voilà ce que j'ai obtenu.
Pour ma part, j'ai utilisé du Ilford PQ pour le développement, le bain d'arrêt est de l'eau additionnée de vinaigre blanc. J'ai constaté que lors du trempage des épreuves dans le fixateur, les noirs deviennent plus prononcés et l'ensemble est plus contrasté. Le séchage resserre la fibre, et les détails dans les zones sombres sont du coup estompés. J'essaie donc d'en tenir compte. Sous l'agrandisseur, pour les exemples proposés, j'ai utilisé un filtre Foma rouge.
Ma conclusion est que ce papier est relativement graphique dans le sens où on a le sentiment d'un dessin au crayon de papier. Si le tirage est bien fait, les détails apparaissent et la gamme de gris est très riche, très  douce et diffuse, avec des transitions très fluides voire estompée. Les noirs sont très marqués et équilibrent les transitions de gris, le rendu n'est pas agressif.
C'est un mélange en fait entre un rendu lithographique par les lignes noires très prononcées et le "pastel diffus peinture" version noir et blanc.
À essayer pour les spécificités que je viens de citer.
Là aussi, le paysage qui était sous mes yeux n'a pas grand-chose à voir avec le résultat qui apparaît sur ces épreuves. Mais les réinterprétations faites me paraissent très artistiques.










Et pour finir, un plan large voisin de la scène présentée au début: 






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