E tenebris in lucem vocare
(Ramener des ténèbres au grand jour)
Cicéron, Pro rege Dejotaro
C'est l'ange Liberté, c'est le géant Lumière!
Victor Hugo, Stella
Ceci n’est pas un blog. Mânes de Magritte.
Je n’aime pas les blogs. Ils me déroutent. Ne sont-ils pas
comme des livres qu’on lirait à l’envers, en commençant par la fin ?!
(cette ponctuation bizarre m’est soufflée par la notation « ?! » qui,
je crois, désigne aux échecs un coup douteux). J’imagine que ce que je crains
par-dessus tout, c’est cet entassement qui s’apparente aux caisses profondes où
l’on enfouit ses souvenirs les plus chers. En même temps, quand on prend la
peine d’y retourner, les découvertes et les surprises sont d’autant plus
intenses qu’on les aura oubliés. Les étagères qui offrent tout en permanence
aux regards ont exactement l’effet inverse : elles rendent commode la
fréquentation des objets qu’elles exposent, mais, ce faisant, elles les
banalisent par le statut quotidien qu’elles leur confèrent. N’empêche, je suis
mal à l’aise avec les blogs qui entassent leurs archives tout en ayant l’air de
les rendre caduques. Le numérique aussi a ses formes de moisissures.
On pourrait ici, j’en suis conscient, m’opposer la fameuse
objection de Voltaire à l’encontre de Rousseau, l’accusant de se fourvoyer dans
un paradoxe spécieux consistant à parler éloquemment contre l’éloquence. Dans
mon cas, l’accusation se formulerait à peu près ainsi : « Vous
bloguez platement contre les blogs. »
Alors je n’aurais plus d’autre recours que de m’abriter
lâchement derrière la (trop) grande caution de Montaigne : bien que
n’ayant pas d’autre fin que domestique et privée, je la rends publique.
Je ne suis pas sûr d’aimer les blogs
Que deviennent-elles, les pages d’avant ?
Sont-elles enfouies comme fumier
Dans la terre chaude ensemencée,
Ou bien pourries comme charognes
Dans des strates stériles et noires ?
J’aimeraient mieux qu’elles avancent
Franches aux pas du randonneur
Et qu’elles offrent leurs parcours
Généreuses aux curieux chercheurs.
La comprendre. Comprendre Albertine Sinomet.
Mathématicienne. Réputation autoentretenue d’imperméabilité
à la poésie. Compensation. Poétesse de l’image. Combinant les deux (maths et
poésie).
Baudelaire. Eternel et transitoire, formule de la fameuse
modernité.
Les photographes artistes se comptent sur les doigts de la
main.
La nature est la grande artiste.
Baudelaire encore :
Le confiteor de l’artiste. Prendre comme modèle et rivaliser avec.
Alliance ou combat ou les deux à la fois ?
Arago(n ?). Moi, Jean-Marc Fairève. Toujours dans le
mentir-vrai. Conception volontairement réductrice au départ. Photo document
scientifique. Pas de l’art, mais des madeleines de Proust à volonté. Support
pour le travail de l’imagination interne, propre au cerveau, catalyseur,
déclencheur.
Mais les photos d’A.S. me sont apparues être plus que cela.
Il y a en elles une forme élaborée de l’imaginaire et de la fantaisie qu’on ne
peut nier, qui saute au premier regard comme une évidence, une idée claire et
distincte. Tension, dialectique. Vers quel but, quelle synthèse, s’il existe
une telle chose ?
Une photo qui vous retient et qui vous parle donne
l’impression à celui qui la rencontre d’être plus sensible et plus artiste
qu’il ne le croyait lui-même. Comme ces livres qui vous donnent l’impression
d’être plus intelligent que vous ne l’auriez cru (vulgarisation).
Technique et/ou sensibilité.
Paradoxes : le regard ? l’appareil fait
tout ? Presque tout ? presque rien ?
Références. W. Benjamin. Valéry. L’œil (Eluard). La main
(Leroy-Gourhan).
Décidément, non, je n’aime pas les blogs. L’anti-livre, le
livre à l’envers, cul par dessus tête comme aurait dit Mme de Sévigné. La première
devient la dernière (Bible, Nerval). Et inversement.
Présentation en forme de table des matières (et non
accueil). Chaque page limitée, sinon calibrée. Quelques écrans et guère plus.
Problème : comment ajouter a posteriori sans trop défaire ?
Je suis vaguement intéressé par la photo. Mais je n’ai
malheureusement que des bases incertaines. Je raconte ici l’histoire de ma
rencontre avec des photos qui m’ont immédiatement fait comprendre qu’il fallait
que j’arrête d’en être l’auteur et que je me contente de regarder celles des
autres.
Cette histoire n’intéresse sans doute que moi, je
comprendrais que vous ne perdiez pas votre temps à l’écouter. Mais, si vous
avez un moment à perdre, c’est très volontiers que je vous invite à me suivre. Pardon: à nous suivre.
Un commencement possible, un jour de Saint-Valentin.
Ceci n’est pas un paysage de neige.
Ou plutôt c’en est un si vous le percevez ainsi spontanément
ou si après réflexion vous avez décidé de le percevoir ainsi.
Pas plus que les miroirs - pardon Cocteau - ne sont tenus de
réfléchir avant de renvoyer leurs images, les photos n’ont pas de compte à
rendre a priori sur leur signification avant de s’offrir à vos
sensations et à vos intellects, à vos sentiments et à vos interprétations.
Est-il important, alors, de connaître les conditions
factuelles de la prise de vue ? En général, il m’apparaît que non. Dans le
cas présent, puisque j’en ai déjà un peu trop dit et que j’oriente la réception
d’une image vers le maximum de liberté, je veux bien avouer que ce jour-là
n’avait rien de très attirant pour l’expérience photographique. C’était juste
un jour terne comme il y en a tant, et le lieu était simplement un paysage de
campagne mélancolique dépourvu à première vue de tout pittoresque, évidemment
sans neige par exemple. Le flou des taches blanches du feuillage évoque au
cerveau immédiatement conditionné - c’est du moins vrai pour le mien et celui
de quelques autres que j’ai eu l’occasion de solliciter – un paysage balayé par
de larges amas de flocons de neige. Cet effet neigeux vient simplement du hasard
d’une rafale de vent et de l’obstination de la photographe à tenter malgré tout
de faire un cliché dans des conditions a priori particulièrement
ingrates.
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