Voici toute l'histoire.
Dans le
tiroir d’un petit meuble, qu’Albertine venait d’acheter dans un quelconque
dépôt-vente, j’ai trouvé un petit cahier d’écolier avec une couverture d’un
bleu outremer affadi par le temps. Sur la première page, dans un cartouche
imprimé sur un fond gris, d’une belle écriture violette et appliquée, il était
écrit :
« Poésies
de Jean Mélais, Instituteur à………….. ».
Mais le lieu, lui, n’était
malheureusement pas écrit. Ou peut-être d’une autre encre, qui depuis s’est
effacée. Enfin, à bas à droite, une simple date : 1924.
J’ai
tout de suite fait le rapprochement : certains de ces textes me
paraissaient entrer merveilleusement en correspondance avec quelques-unes de
mes photos préférées parmi toutes celles qu’Albertine se plaît à collecter au gré
de ses promenades. D’autres poèmes ensuite, au fil des lectures, se sont
offerts à de semblables illustrations avec des photos déjà réalisées.
Il n’en fallait pas plus
pour nous piquer au jeu, et bientôt, pour les textes demeurés orphelins, elle a
accepté d’emblée de faire d’autres photos destinées à leur tenir compagnie.
Ce
petit album est le résultat de cette asymétrique collaboration, involontaire
par la force des choses pour l’un des auteurs, parfaitement consciente et
assumée, comme on vient de le dire, pour l’autre.
Quant
à moi, je me contenterai de les remercier tous les deux. En espérant que Jean
Mélais, s’il l’aurait su (le conditionnel est volontaire pour bien marquer
l’irréalité absolue de cette hypothèse) ne m’en eût pas trop voulu.
Le texte (pour les éventuelles aides à la traduction, les simples automaticités sont vite très surréalistes... dans le meilleur des cas):
LES SONGES DU CANAL
Les songes du canal sont verts
Mais de quel vert s’agit-il donc
Pour le savoir attendons qu’
Il nous le dise avec des vers
Car le canal est un poète
Sur son miroir glissent les songes
Il chante et nos pas qui les longent
Scandent les strophes qu’il apprête
Vert d’herbes tendres ou de noyés
Pour lui désormais c’est tout un
Pourtant son printemps fut si gai
Il aimait tout tous les matins
Mais pour lui aussi c’est le soir
Il soigne sa mélancolie
Bien au noir au fond de son lit
Où s’est noyé mon désespoir
Les songes du canal sont verts
Rêves de caps rêves de pics
Mais le ciel gris n’est qu’un tapis qu’
Il sent peser sur son repaire
Il sait qu’il a déjà trop plu
Sur ses chemins de platitude
Qu’il coule en vain qu’il n’en peut plus
Condamné à la solitude
LES MARCHES DE JEANNE
Si Jeanne un jour passa par là
Elle gravit tous ces degrés
Ils la menèrent au curé
Qui perpétue je ne sais quoi
Les vieux cultes de son église
Jeanne qui croit en tout ça
Peut-être qu’elle entend les voix
De Saint Léon ou de Sainte Lise
Si bavardaient ces vieilles marches
Elles diraient que je délire
Qu’il me faudrait longtemps relire
Anciens bouquins et vieux parche-
Mins qui sauraient seuls m’enseigner
Le respect des vieilles reliques
Qui de tout temps ont fait la nique
Aux esprits forts qui veulent nier
Si Jeanne un jour passa par là
Elle gravit tous ces degrés
Ils la menèrent au curé
Qui perpétue je sais trop quoi
LUBIE FLORALE
Tous ces gens qui s’en vont là-bas
Je voudrais bien avoir leur chance
Ils vont dans des trains en partance
C’est bien pour eux mais pour moi pas
Enraciné dans mon parterre
Je charme un passant frénétique
Mais une rose me le pique
Je voudrais être un chien qui erre
Les larmes de la véronique
Font de l’ombre à mes pleurs à moi
Je n’envie pas les hortensias
Mais bien ce cabot qui rapplique
Il arrose les réverbères
Et même les fleurs les plus belles
Dans son errance libertaire
Dirait-on pas qu’il a des ailes
Moi je suis immobile là
Près du goudron que je décore
Le pont ne me voit même pas
Je suis la tulipe des morts
OBSTINATION
Je comprends bien que tu t’obstines
A me figer le cours du temps
Pleure Pierrot sa Colombine
Près des roseaux près des étangs
Je comprends bien que tu t’obstines
Oui mais vraiment il n’est plus temps
Il n’y a plus de Colombine
Depuis longtemps près des étangs
N’est plus que ton Art qui s’obstine
A me vouloir figer le temps
Il m’aide à rêver Colombine
Qui pleure là près des étangs
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